Posted by : mohammed hanafi jeudi 30 janvier 2014

Les jeux vidéo ont la réputation d’être violents et débilitants. Pourtant, de récentes études montrent qu’ils améliorent des capacités cognitives différentes selon le type de jeu. Les risques pour la santé restent très limités et peuvent facilement être évités.
Depuis la sortie de Pong en 1972, les jeux vidéo n’ont cessé de s’améliorer et de se diversifier. Certains font partie de notre patrimoine culturel, comme Space InvadersPac-Man ou Tetris. Avec les jeux vidéo d’aujourd’hui, il est possible d’incarner tour à tour un sportif, un psychanalyste, une mère de famille, un pilote de chasse, un chirurgien, un soldat… Leurs décors peuvent nous immerger dans des lieux contemporains, historiques ou mythiques, dans une représentation métaphorique du cerveau ou dans des univers oniriques délirants. Ils nous proposent de perfectionner notre anglais, de mesurer l’âge de notre cerveau, d’apprendre à cuisiner, à danser ou à jouer de la guitare… Ils représentent une pratique ludique d’une grande richesse qui se développe de plus en plus auprès d’une clientèle qui s’élargit.
Malgré son succès fulgurant et les nombreuses possibilités qu’il peut offrir, le jeu vidéo n’a pas toujours bonne image. En effet, certains jeux sont souvent décriés pour la violence qui les caractérise, lorsque le but est de tirer sur tout ce qui bouge sans complexe et que le carnage qui en résulte est de surcroît très réaliste. Ils sont souvent également jugés « abrutissants » et ont la réputation d’enfermer certains de leurs utilisateurs dans une pratique toxicomaniaque conditionnée (appuyer sur tel bouton en réponse à telle stimulation). L’adolescent – car c’est de lui dont il s’agit le plus souvent – risquerait de finir au pire psychotique, au mieux violent, « déconnecté » de la société et de ses valeurs, victime en prime de crises d’épilepsie. Cependant, les jeux vidéo – et l’informatique en général – font maintenant partie de notre vie quotidienne et il devient difficile pour les parents qui le souhaitent d’en détourner leurs enfants (en 2002, selon un sondage Sofres, plus de 80 % des enfants âgés entre 8 et 14 ans déclaraient pratiquer les jeux multimédias). Contrairement à l’opinion des personnes méfiantes face aux jeux vidéo, les résultats des recherches conduites ces dernières années sur ce sujet ont plutôt tendance à montrer que les risques sont faibles et circonscrits, bien que présents et par conséquent non négligeables. Mais plus étonnant encore, il semble que les jeux vidéo seraient bénéfiques, en ce sens qu’ils amélioreraient certaines capacités cognitives de leurs utilisateurs réguliers.

Stimulants pour le cerveau

Depuis les récentes découvertes sur la plasticité cérébrale, on sait que l’environnement peut modifier les connexions synaptiques du cerveau. Une exposition répétée de l’organisme à un environnement visuel donné (un jeu vidéo par exemple) peut donc affecter à plus ou moins long terme les processus cognitifs qui traitent spécifiquement cet environnement. Dans une étude publiée en 2003 dans le journal Nature, C. Shawn Green et Daphne Bavelier, du département neurosciences de l’université de Rochester, n’observent pourtant pas d’effets aussi spécifiques (1). Ils trouvent au contraire que la pratique de jeux vidéo d’action modifie tout un ensemble de capacités visuelles attentionnelles. Les auteurs ont comparé les performances de « joueurs » réguliers face à des « non-joueurs » dans différentes tâches. Les résultats font apparaître que l’attention visuelle des joueurs fatigue moins vite que celle des non-joueurs lorsqu’ils doivent rechercher une cible, malgré l’augmentation constante de la difficulté de la tâche. Les joueurs arrivent également à appréhender un plus grand nombre d’objets d’un seul coup d’œil. Par ailleurs, la distribution spatiale de leurs ressources attentionnelles visuelles est plus efficace, en vision centrale comme périphérique : ils repèrent mieux une cible quelle que soit sa distance par rapport au point qu’ils fixaient initialement. Enfin, ils parviennent plus rapidement à recentrer leur attention à la recherche d’une nouvelle cible, après qu’une première ait été détectée. Tout porte à croire que la pratique régulière de jeux vidéo d’action améliore globalement l’attention visuelle sélective.
Cependant, on pourrait penser tout simplement que les personnes ayant naturellement de bonnes capacités attentionnelles visuelles sont justement les plus enclines à s’adonner aux jeux vidéo. Afin de vérifier cette possibilité, les auteurs ont également testé l’effet d’un entraînement chez des non-joueurs, soit à un jeu d’action qui consiste à incarner un soldat (Medal of Honor), soit au jeu classique Tetris. Ce dernier requiert essentiellement une bonne coordination visuo-motrice, tandis que le premier nécessite également de focaliser son attention sur de nombreux éléments à la fois (il faut détecter et suivre des yeux les ennemis, viser, tirer, se déplacer, etc.). Après seulement dix heures de jeu, les sujets entraînés avecMedal of Honor (les hommes comme les femmes) ont amélioré leurs performances visuelles globales de façon plus importante que les sujets entraînés sur Tetris. Ainsi, jouer régulièrement à des jeux vidéo d’action semble être bénéfique au traitement attentionnel visuel, en particulier à la flexibilité et à l’efficacité avec laquelle les joueurs étendent leur attention sur le temps et l’espace. Très récemment, S.C. Green et D. Bavelier (2) ont confirmé et élargi leurs précédents résultats. Les auteurs ont établi que les joueurs de jeux d’action évaluent plus précisément un plus grand nombre d’objets que les non-joueurs, que ce soit en vision périphérique ou en vision centrale. Il apparaît aussi que les joueurs ont de meilleures performances quand il s’agit de suivre simultanément plusieurs objets dans le temps et l’espace. En plus de ces effets sur les composantes spatiales et temporelles de l’attention visuelle, la pratique de jeux vidéo semble aussi améliorer certaines caractéristiques de la mémoire de travail spatiale.

Quid de la différence homme/femme ?

Nous avons vu précédemment que les joueurs de Tetris sont désavantagés face aux joueurs de jeux d’action dans des tâches générales d’attention visuelle. Ils peuvent néanmoins se consoler puisque la pratique de Tetris améliore néanmoins le temps de rotation mentale ainsi que le temps de visualisation spatiale (3). En effet, si l’on veut faire de bons scores à Tetris, il faut très vite savoir où et comment placer le nouvel élément qui apparaît à l’écran. Pour cela, il faut rapidement visualiser la configuration générale en présence, puis faire tourner mentalement l’élément nouveau afin de déterminer l’endroit le plus stratégique où le positionner. Les chefs d’entreprise qui ont vu le rendement de leur activité professionnelle baisser lors de la sortie du jeu peuvent se féliciter d’avoir des employés, certes un peu joueurs avec leur outil de travail, mais désormais plus performants en cognition spatiale ! Jouer à Tetris optimiserait aussi les réflexes et la sensation de bien-être chez les personnes âgées entre 69 et 90 ans (4). Il n’y a pas d’âge pour tirer parti du jeu vidéo.
Mais qu’en est-il de la différence entre hommes et femmes ? En effet, la croyance populaire veut que les femmes aient de moins bonnes compétences spatiales que les hommes (il paraît qu’elles ne sauraient pas lire une carte routière…). Comment alors réagissent-elles à la pratique des jeux vidéo requérant précisément ces compétences ? Une étude récente de Claudia Quaiser-Pohl, professeure de psychologie à l’université de Trèves, établit auprès d’une population âgée entre 10 et 20 ans que les garçons, qui jouent plus volontiers à des jeux d’action que les filles, ont de meilleures performances à des tâches de rotation mentale(5). Cependant, il est difficile de savoir si le « handicap spatial » observé chez les filles est la cause ou la conséquence d’une pratique moins régulière que les garçons aux jeux d’action. Les enfants de 8 à 14 ans, garçons ou filles, préfèrent aujourd’hui majoritairement jouer à des jeux d’action. Il faudrait donc tester les compétences spatiales de cette population plus homogène dans leurs goûts et leurs pratiques vidéo-ludiques. Par ailleurs, comparer les performances en cognition spatiale d’hommes et de femmes non joueurs après un entraînement à des jeux d’action pourrait également apporter des éléments de réponse.
L’ensemble des études montre donc que les jeux vidéo sont loin d’être débilitants. L’utilisation régulière de l’ordinateur en général a un impact positif sur le développement cognitif de l’enfant et de l’adolescent. Elle améliorerait, entre autres, la motricité fine, la reconnaissance de l’alphabet et des nombres, l’estime de soi, la compréhension de concepts généraux relatifs à la taille, la direction, la position, le temps, la quantité et la classification. Les enfants utilisant régulièrement un ordinateur (ce qu’ils font le plus souvent pour jouer à des jeux vidéo) seraient ainsi mieux préparés à l’entrée à l’école. Cependant, beaucoup de parents rechignent à laisser jouer leurs enfants, car ils craignent les risques d’épilepsie, de dépendance, de repli sur soi et, enfin, d’incitation à la violence. 

Le risque réduit d’épilepsie

Il y a effectivement eu des cas de crises d’épilepsie répertoriés après une utilisation intensive de jeux vidéo. Le risque est donc présent, tout comme il l’est en regardant simplement la télévision, mais il est relativement rare et se manifeste essentiellement chez certaines personnes prédisposées à l’épilepsie, dites « photosensibles ». Ce risque peut être fortement réduit en évitant de jouer trop longuement ou lorsque l’on est fatigué, en utilisant de préférence un écran fonctionnant à une fréquence de 100 Hz (plutôt que 50 Hz), et en se positionnant à un mètre au moins de l’écran plutôt qu’à 50 cm. L’utilisation de consoles de poche semble également préférable (6). En ce qui concerne les phénomènes de dépendance et de repli sur soi, Benoît Virole, docteur en psychologie et en sciences du langage, explique : « La puissance attractive des jeux vidéo résulte de l’effet de proximité entre la réalité virtuelle et les processus internes de la réalité psychique. Ils proposent ainsi une sorte d’espace transitionnel entre la réalité et la réalité psychique dans lequel le sujet va forcément s’impliquer (7). » Cette implication ne conduit pas inéluctablement à une dérive toxicomaniaque, fort heureusement, et peut même avoir des vertus thérapeutiques (lorsque le jeu est utilisé comme média communicationnel). Dans les faits, seule une faible minorité va s’adonner de façon compulsive aux jeux vidéo. Selon un sondage Sofres effectué en 2004, les joueurs âgés de 15 ans et plus jouent en moyenne moins de 25 minutes par jour. Et à ceux qui pensent que la pratique du jeu vidéo rend solitaire, Patricia Greenfield, professeur de psychologie à l’université de Los Angeles, et Jean Retschitzki, professeur de psychologie à l’université de Fribourg, répondent que « la pratique de ces jeux semble au contraire comporter une dimension sociale non négligeable (8) ». En effet, ils constituent une sorte de culture commune : les enfants et les adolescents échangent des astuces pour améliorer leurs performances, jouent en réseaux, élaborent ensemble des stratégies, organisent des compétitions, etc. Il ne tient qu’aux parents d’essayer d’intégrer le cercle d’initiés.

Une violence délimitée

La dernière crainte concerne l’incitation à la violence. Tout comme le cinéma, les jeux vidéo se déclinent en différents genres. Mais certains jeux proposés (en particulier les jeux d’action pour le développement desquels les plus gros budgets sont souvent alloués) peuvent s’avérer très violents. Outre la violence, c’est surtout l’immoralité de certains jeux qui dérange. Par exemple, dans GTA San Andreas, dont les ventes en France en 2004 représentent 38 millions d’euros (deuxième meilleure vente de produits culturels de l’année derrière la trilogie Star Wars en DVD), le joueur est valorisé s’il arrive à commettre toutes sortes de crimes et délits sans se faire prendre par la police… Selon un article très récent(9), une exposition prolongée à des jeux vidéo violents (comme Carmageddon ou Duke Nukem) favoriserait un comportement agressif induit par une désensibilisation à la violence présente dans la vie réelle. Cependant, de nombreux jeux vidéo à succès ne sont heureusement pas violents. Quant aux autres, la majorité ne valorise pas une violence gratuite, qui serait une finalité en soi, mais la montre plutôt comme le moyen d’accomplir sa mission, de triompher du mal (on combat souvent des monstres à tendance psychopathique, kidnappeurs de princesses, et qui complotent pour détruire le monde). Mais cette violence-là n’est pas nouvelle, car avant le cinéma, la télévision ou les bandes dessinées, elle était déjà présente dans les romans et même les contes de fées. Enfin, il semble que ce soit davantage l’action que la violence qui de toute façon attire les enfants dans les jeux. La surenchère de la violence pourrait donc être interrompue, du moins peut-on le souhaiter.
Quoi qu’il en soit, les jeux vidéo présentent des avantages non négligeables. Ils peuvent être bénéfiques à tout âge et dans de nombreux domaines de la pensée. On a vu qu’ils pouvaient améliorer la coordination visuo-motrice, l’attention visuelle sélective, le traitement perceptif, ainsi que certaines composantes de la cognition spatiale, comme la rotation mentale. Plusieurs recherches ont également montré qu’ils pouvaient améliorer les réflexes et conduire à l’élaboration d’une meilleure stratégie face à la résolution d’un problème (stratégie analogique, plutôt qu’une résolution par essais-erreurs). La plupart des jeux requièrent un sens de l’observation et une attention accrus, un traitement en parallèle de plusieurs variables, une bonne mémoire, une planification de l’action, un raisonnement inductif permettant de progresser dans le jeu, et ainsi de suite. Si l’on ne néglige pas son confort visuel et sa fatigue, que l’on ne passe pas un temps trop long devant son écran et que l’on n’abuse pas des jeux violents, pourquoi se priver ? Chacun pourra alors saisir sans complexe sa manette et tester l’apport principal de ce fruit de la technologie : le divertissement.

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